De Nice à l'Écosse L’idée m’est venue progressivement d’aller naviguer dans les mers nordiques, d’approcher les zones où le soleil ne se couche jamais. J'ai déjà fait un bon tour de la méditerranée dans les zones politiquement stables, un tour de France qui s’est prolongé jusqu'en mer baltique, Copenhague avec un retour par les canaux de Belgique puis de France jusqu'à Marseille alors avant de traverser l’Atlantique, l’Écosse paraît une excellente destination. De retour de Grèce, un mois dans ma petite cabane à la montagne, fraîcheur et neige, feu de bois m’ont fait le plus grand bien. Un petit cabotage en méditerranée, régler des problèmes de santé à Montpellier et me voilà prêt.

Journal de bord 2018. 1ére partie

De la Méditerranée à l'Atlantique.

Liberté retrouvée 24 mai 2018, 12h.

Ça y est je suis sorti de l'hôpital. Après une longue intervention de 3h30 et de repos allongé sur le dos sans bouger la jambe droite pendant 24 heures, on m'a défait le pansement et je suis parti. Les artères irriguant chacun des reins ont retrouvé leur diamètre normal. D'un diamètre de 7 mm elle étaient passées à l'entrée des reins à 1 mm et demi!... je risquais de les perdre d'ici 2 à 3 ans, et de passer le reste de ma vie sous dialyse. Je l'ai échappé belle, vive la médecine moderne !... Bravo l'équipe de l'hôpital de Montpellier.

Après 2h d'autobus, arrivée au bateau stationné à Agde sur l'Hérault. Une heure plus tard j'étais parti !... me sentant en forme et profitant d'un petit vent de côté j'ai mis les voiles, hissé le spi et fais route tranquillement vers port-la-Nouvelle. C'est là que se trouve une entrée du canal du Midi. À 11h du soir je trouvais une place au ponton face à un autre voilier. Celui-ci me sera bien utile pour abaisser le mât demain matin. Éveillé au petit matin, je range les voiles, démonte la Bôme, abaisse le mât avec précaution en le fixant à la drisse du voilier qui est face à moi. Une fois fixé sur le pont, rangé les voiles et les cordages à l'intérieur, je m'engage sur le canal du midi. Je mangerai en route. Bien m'en prend car 20 minutes plus tard en face de la première écluse, celle-ci est bloquée. C'est elle qui fait la liaison entre la mer et le canal, lorsque le niveau de la mer est trop haut cela bloque les sondes et une intervention humaine est nécessaire. Le technicien va arriver dans une demi-heure, j'ai le temps de me préparer une bonne salade. Ensuite je continue ma route jusqu'à Narbonne que je dépasse avant d'arrêter à 7h du soir c'est l'heure de fermeture des écluses jusqu'à demain matin 9h. Quel bonheur de retrouver ce rythme des canaux !...

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, marin d'eau douce n'est pas si facile que cela. Il faut une vigilance constante pour ne pas accrocher les rives du canal, et aux écluses faire les manœuvres nécessaire sans tomber à l'eau ni coincer le bateau dans les portes, ce qui a failli arriver il y a quelques années. Je suis seul à manœuvrer. Il faut immobiliser le bateau dans l'écluse face à une échelle de secours, grimper l'échelle en tenant les deux amarres, les fixer provisoirement aux bittes d'amarrage, enclencher le cycle qui fera couler une cataracte d'eau rugissante de la porte avant de l'écluse, guider le bateau en réduisant progressivement les amarres jusqu'à ce qu'il atteigne le niveau du quai. À ce moment il faut grimper à bord pendant que la porte de l'écluse s'ouvre, prendre bien soin de sortir sans accrocher la coque au bord du quai en courbe ce qui n'est pas facile surtout si le vent capricieux vous y pousse. Mais le reste du temps c'est plutôt sympa. Les arbres sont en fleurs, les jolies filles aussi qui font du jogging sur les bord du canal, les plus anciennes qui marchent avec leur cannes, c'est la vie qui défile devant nos yeux. Ce merveilleux canal a été construit à l'époque de Louis XIV. C'est une merveille d'ingénierie. Stratégique, pour pouvoir passer de Méditerranée en Atlantique sans être tributaire de cet encombrant voisin espagnol qui fait ses caprices récurrents. Il culmine à 196 mètres d'altitude, point que je devrais atteindre dans quelques jours avant de redescendre vers l'Atlantique. Il est classé au patrimoine mondial de l'humanité depuis une vingtaine d'années, et le mérite bien.

Lundi 27 mai

Carcassonne… Il y a quelques jours je n'aurais pas cru être déjà là. La vitesse n'est pourtant pas grande sur le canal: hier en 10h30 de navigation j'ai parcouru 38 km !... C'est le passage des écluses qui est long. Il y avait quelques écluse à triple niveau. On passe un premier SAS puis le deuxième et enfin le troisième avant de sortir. La chute d'eau est impressionnante. Une véritable cataracte, il faut veiller constamment à ce que le bateau ne heurte pas la porte arrière ou un autre bateau qui se trouve dans l'écluse en même temps. Marin d'eau douce ils disent mais ce n'est pas du tout facile. Il faut une vigilance constante. J'ai failli rentrer dans la berge à un moment d'inattention, mais les branches d'un chêne m’ont freiné. J'ai juste embarqué beaucoup de feuilles et des morceaux de branches, ouf.

Egalement une rencontre surprenante. Jacques un courageux nordiste qui descendait en kayak depuis Dunkerque faisait le Canal du Midi pour ressortir en Atlantique et rentrer à Dunkerque par la mer. 66 ans sans sponsor sans publicité sans battage médiatique juste pour lui. Et il avait la forme et un sourire radieux: 50 km ça suffit pour aujourd'hui ! Minimaliste il transporte tout sur son kayak et franchit les écluses avec les roulettes qu'il adapte à terre sur le kayak. Tous mes hommages !

Passage également à l'écluse d’aiguille. L'éclusier ici est un artiste sculpteur depuis plus de 20 ans. Je l'ai déjà rencontré lors de mes passages précédents. La collection se renouvelle. Bravo.

À 9h du matin, en passant l'écluse de Carcassonne la pluie commence à tomber. Et elle tombe dru comme elle peut le faire dans le sud ouest. Je continue quand même, bon entraînement pour l'Écosse. À midi je retrouve mon kayakiste trempé comme une soupe grelottant et je l'invite à bord partager un bon repas bien chaud. C'est un ingénieur informatique à la retraite, champion de triathlon au genoux usés qui s'est rabattu sur le kayak pour donner libre cours à son tempérament sportif. À 1h la pluie s'arrête enfin et nous reprenons chacun notre route. Ce soir je fais la pause dans un petit endroit idyllique juste avant Castelnaudary. Tant pis pour le cassoulet mais c'est si beau ici on verra demain.

Mardi 29 mai, 5e jour de canal.

Je viens de passer la 45e écluse à Castelnaudary. Un peu plus loin une branche de fruits rouges m'interpelle je fais demi-tour je m’y 'amarre, c'est un cerisier. Parfait pour le dessert c'est l'heure de manger, les écluses sont fermées. Je m'étais déjà préparé le repas en attendant trois quart d'heure le passage de l'écluse de Castelnaudary. Au menu une casserole de riz agrémenté de légumes avec au-dessus une boîte de cabillaud achetée en Espagne. Souvenir de ma dernière virée de 15 jours en Espagne en attendant l'opération à Montpellier. Petite frayeur tout à l'heure quand un bateau de location à failli endommager le mât à l'intérieur de l'écluse. Alors adieu la croisière bonjour les ennuis. On est toujours à la merci une avarie causée par d'autres incompétents.

Cet après-midi j'ai passé le point de partage des eaux. Altitude 189 m… c'est ici que l'eau en provenance de la Montagne Noire alimente le canal. À partir de maintenant les écluses descendent c'est-à-dire qu'on entre dans une écluse pleine et que le niveau descend lentement jusqu'à l'ouverture de la porte. C'est beaucoup plus reposant. Demain je devrais arriver à Toulouse. J'ai recroisé mon ami kayakiste et on passera Toulouse ensemble car ce serait difficile pour lui seul dans son kayak.

Jeudi 31 mai, Toulouse.

Je me suis arrêté ce soir chez des amis un peu avant Toulouse. Seule Élisabeth est là avec son fils Théo. On s'était vu il y a quelques semaines en Espagne et ça fait du bien de retrouver quelques connaissances au long du chemin. Une bonne douche et une vraie lessive à la machine ajoutent au confort de l'étape. Et dormir dans un vrai lit dans une maison confortable ne m'était arrivé depuis des mois. J'apprécie.

Le matin j'ai rejoint Toulouse sous la pluie protégé par le parapluie. Quelques courses de ravitaillement et terminé le Canal du Midi. À partir d'ici c'est le canal de la Garonne qui commence, jusqu'à Bordeaux. Beaucoup plus rectiligne avec des écluses automatiques le courant descend et la vitesse augmente sensiblement. Plus que quelques 184 km avant l'entrée dans la Garonne puis dans l'estuaire de la Gironde. Ensuite l'océan Atlantique. En fin de journée le moteur a eu des ratés puis s'est arrêté. J'ai purgé le carburateur rajouté un peu d'huile et il est reparti. Une demi-heure plus tard il a recalé. Je me suis arrêté sur un petit ponton qui était là et c'est la pause pour la nuit. parti à vélo chercher de l'essence à quelques kilomètres. Deuxième jerrican de 20 litres depuis l'entrée du canal. Je verrai demain matin pour la panne du moteur en espérant que ce ne soit pas grave. Ici on est au milieu de nulle part. perdu de vue L’ami kayakiste… Un Éclusier l'a vu passer devant moi….

Vendredi 1er juin.

7h du matin. Après le café je n'ai qu'une pensée : essayer le moteur. Il recale. Nettoyage de la bougie, purge du carburateur et ça repart. 1h10 de navigation jusqu'à la prochaine écluse qui va ouvrir dans une demi-heure. Ouf pas de dégâts mécanique. La route peut continuer, l'Atlantique approche. Petit arrêt à Castelsarrasin que j'atteins à midi. J'en profite pour aller visiter un voilier en vente qui est dans mes normes. Il correspond bien mais je n'ai pas envie de changer. Le mien fonctionne bien j'en ai l'habitude et je commence à l'aimer vraiment comme un prolongement de mon corps. De plus il est très simple et correspond à ce que j'aime. Fin d'après-midi nouveau raté du moteur qui cale. Se fatiguer t-il après une journée?... je m'aperçois qu'il faut pomper de l'essence depuis le réservoir auxiliaire. Serait ce la cause véritable?... J'accoste sur une berge pour la nuit puis vois passer un jeune couple de Québécois sac à dos marcheur décidés. Derrière le sac de la fille une petite coquille Saint-Jacques danse… seraient ce des pèlerins sur la route?... oui. On discute un brin je leur dis que j'ai fait le chemin en bateau il y a 2 ans. À pied il reste encore 2 mois au moins. Sympathique.

Samedi 2 juin, 9e jour de canal.

Il est 7h, je pars pour rejoindre la première écluse qui ouvrira à 9h.

La notion de vitesse sur le canal n'a rien à voir avec la vitesse terrestre. Ici en 10h de navigation je n'ai jamais réussi à faire plus de 40 km!... mais la tranquillité c'est cela que l'on y trouve. On traverse le paysage mais on n'est pas sur les routes ni dans l'environnement urbain. C'est la France mais pas celle dont on a l'habitude. Une piste cyclable longe la totalité du canal et l'on n'y voit des randonneurs cyclistes avec tout le matériel pour dormir aussi bien que des cyclistes à la journée. Des promenades à pied également il y a place pour tout le monde. Bon nombre de nationalités louent les pénichettes à la semaine.

Les platanes malades !...

On en a tant parlé que l'on pourrait croire que les bord du Canal du Midi sont devenu un véritable désert. Rassurez-vous il n'en n'est rien. Dans la première partie il est des zones où les arbres malades ont été abattus et d'autres replantés. Et cela avec différentes espèces. En attendant le paysage est dégagé et j'ai découvert de nouvelles perspectives. Il n'y a donc pas de drame mais des informations alarmantes. Dans la partie après Toulouse rien de cela .Des arbres majestueux et variés bordent toujours le canal. Un vrai plaisir pour les yeux.

Lundi 4 juin.

Sortie du canal

Il aura fallu 10 jours, 400 km et 120 écluses, 50 litre d'essence pour passer de Méditerranée en Atlantique. Mais je n'y suis pas encore, il faut encore passer la Gironde en suivant les marées… à 13h30 l'heure de la marée haute l'éclusier me lancera dans la Garonne… 4 heures plus tard j'arriverai à Bordeaux à l'étal, j'attendrais la marée suivante pour rejoindre Plassac et il voir des amis puis le lendemain j'espère sortir enfin de Gironde après l'autre marée descendante pour être en Atlantique. Tout dépend des conditions météo. L'air marin et les voiles gonflées ce n'est donc pas pour tout de suite.

Mardi 5 juin

La sortie du canal s'est bien passée. Je me suis ensuite retrouvé dans la Garonne emmené au gré du courant vers Bordeaux. Une vraie ressemblance à l'Amazone… les eaux chargées de terre, fini les rives rectilignes du canal, un air de nature sauvage et de beaux rapaces planant dans les airs. Parti en T-shirt des averses forcent à passer la veste de quart. Vitesse 12 km heure. Juste après Bordeaux fin de marée. Par chance je trouve un ponton avec place libre derrière un voilier. Celui-là m'aide à remonter le mât qui est en place après quelques difficultés normales, je peux aller me coucher.

Mardi 5 juin

Réveillé tôt ce matin je n'ai qu'une hâte, remonter les voiles et le gréement. C'est long et fastidieux, mais il faut tout faire avec soin et minutie. Je suis parti pour un long voyage… 11h30 c’est terminé, je fais une petite sieste avant de manger et de repartir avec la marée descendante. Vent de face, pluie fine, inutile de hisser les voiles. Paysage industriel à la sortie de Bordeaux… petit clapot court de face, le bateau saute, navigation un peu pénible. Arrivé face au petit port de la Plassac, la mer est trop basse je ne peux pas entrer. Je continue un peu plus loin sur les pontons de Blaye. Amarré face au courant, je pars faire quelques courses de ravitaillement en ville. À mon retour surprise, une grosse péniche est amarrée derrière moi, à 20 cm de mon précieux pilote automatique aérien. Renseignements pris, c'est moi qui occupe une place réservée à l'avance. Je n'ai plus qu'à partir, attendre quelques heures au mouillage devant Plassac que la marée remonte. Mon ami Renaud viens m’aider à m’amarrer à son poste et nous partons chez lui. Une bonne douche bien chaude fait le plus grand bien. Demain matin il viendra me chercher pour aller faire les courses...

Mercredi 6 juin

12h27 à Plassac marée haute j'ai largué les amarres pour descendre la Gironde vers l'océan. Ce matin avec Renaud je suis parti faire l'avitaillement du bateau nourriture, essence, je suis paré pour un long séjour en mer. Je n'ai pas oublié le vin dans cette région bénie des dieux. Il y en aura moins en Écosse et surtout pas au même prix.

Un petit vent plus le courant et le bateau vole vers l'océan… 75 km à parcourir mais je navigue à 13 km heure. C'est la première fois que je navigue sous voile depuis la Méditerranée. Comme c'est bon d'entendre l'eau chanter sous la coque, de voir les voiles parfaitement gonflées, sentir le vent caresser les joues, voir l'horizon s'élargir après les rives rectilignes du canal.… L'estuaire s'élargit peu à peu laissant voir l'horizon, la mer. Après la pluie de cette nuit et de cette matinée quelques éclaircies de soleil allument les couleurs... Impossible de ne pas penser à l'Amazonie où je naviguais il y a une dizaine d'années. La même eau brunâtre et ce courant puissant. Avec un ami on avait comparé la largeur de l'estuaire avec la largeur de l'Amazonie: 5 fois plus large pour l'Amazonie. Gigantesque, démesuré. Par temps clair, d'une rive on ne voyait pas l'autre ….

Un grain arrive, je réduis la toile et me réfugie dans la cabine… puis le soleil revient. Navigation très variée… Changement de marée, le courant s'inverse et je me mets au mouillage sur la rive opposée à Royan. Je repartirai en fin de nuit pour profiter du courant et entrer dans l'Atlantique. J'aurais quelques heures de vent portant vers la Bretagne donc il faut profiter car il est rare dans cette région.

Jeudi 7 juin, 1h du matin.

MERDE ET MERCI

Ces 2 mots commencent par la même syllabe et ils résument bien la situation !... Vers minuit je me réveille naturellement. Je vérifie la météo, superbe !... je me prépare, café, veste et pantalon de quart, monte dans le cockpit, démarre le moteur et au moment de lever l'ancre bruit bizarre du côté moteur ?... lampe de poche, je regarde dans le puit du moteur, couleur bizarre marron dans l'eau. Je vérifie le niveau d'huile, plus d'huile dans le carter !... aïe aïe. Je prends mon bidon d'huile le verse mais le niveau ne se fait pas ?... inspection générale, c'est le bouchon de vidange qui a disparu. Il a dû se dévisser tout doucement au cours de ces longues heures de canal et il est tombé à cet instant. Merde et merci en même temps. Cela aurait pu arriver dans le canal ou en pleine mer sans que je m'en aperçoive, et alors, moteur grillé, bielle coulée. Moteur foutu, grosse galère !... Je rate une belle navigation nocturne et le lever du jour en mer avec un bon vent portant, mais il ne faut pas hésiter. Je suis juste en face du port Médoc. Demain matin je gonflerai l'annexe, irai chercher de l'huile et un nouveau boulon de vidange et je partirai plus tard… moindre mal, mon bateau s'appelle ZEN, encore une petite leçon….

Vendredi 8 juin 2018.

Comme il est doux le ronronnement d'un moteur qui tourne bien. Surtout lorsque la veille on a failli le perdre… C'est au moteur et en profitant des courants de marée que je traverse les pertuis charentais. Après une nuit tranquille au mouillage derrière le passage de Maumusson ( Redouté des plaisanciers qui ont une quille profonde… au point que très peu osent l'emprunter...) c'est quand même avec une certaine appréhension que j'ai franchi la passe aux rouleaux impressionnants. Les bouées vertes et rouges signalant l'entrée de la passe ne correspondent pas à la position indiquée sur la carte. Impressionnante également la sortie de la Gironde, avec le banc de la mauvaise, il faut sortir très loin en mer pour contourner cette zone mal famée. j'ai renoncé au dernier moment le raccourci l'aventure me semblant un peu trop hasardeuse. J'ai d'autres projets lointains que je ne veux pas mettre en péril. Dernière mésaventure hier matin après avoir acheté le boulon et l'huile qui me manquait pour le moteur. Le vendeur ayant été assez aimable pour ouvrir la boutique avant l'heure lorsqu'il me vit attendant derrière la porte vitrée. En reprenant l'annexe sur la plage pour aller au bateau je suis tombé à l'eau. Tout mouillé et tout habillé c'est déjà pas très marrant mais avec le petit sac à dos dans lequel se trouve le téléphone c'est déjà beaucoup plus ennuyeux. Sortir rapidement le téléphone lorsqu’on dégouline d'eau et que l'on a rien de sec pour l’essuyer, devinez comment cela se passe… ramer énergiquement à contre-courant pour rejoindre rapidement le bateau et essayer le téléphone. Seule la housse était mouillée il marche. Je me demande s'il ne vaux pas mieux passer la journée au lit sans bouger pour éviter d'autres catastrophes. Mais après un bon repas c'est l'heure de la marée descendante et je prends le large. Hier soir la météo annonçait un ciel couvert et éventuellement de la pluie. Il est midi le ciel est bleu c'est beau de contempler ce paysage des Charentes, assis à l'avant du bateau pendant que le pilote fait son travail. À droite Fort Boyard, plus loin l'île d'Aix, plus à droite la tour fortifiée marquant l'entrée de la Charente, j'ai déjà visité cette fois je passe, l'Écosse est encore loin. Voyant quelques pêcheurs, je me suis rappelée que j'avais un peu de matériel. En Méditerranée la pêche était nulle, mais en Atlantique je ne sais pas… je répare donc une ligne de traîne et continue la navigation. Au bout d'une heure je tire un peu sur le fil voir si des algues se sont accrochés, mais surprise une chose argentée brillante se trouve au bout. Un maquereau !... depuis le temps que je suis bredouille, ça fait quand même plaisir. Au menu ce soir.

19h. 1h après avoir reçu ce cadeau de la mer, je passe la pointe des Baleines à l'île de Ré. Je prends une dernière météo, très favorable pour naviguer toute la nuit et avancer vers la pointe de la Bretagne. Je viens d'arrêter le moteur et enfin naviguer à la voile. Cela devrait durer toute la nuit je suis face au vent peu à peu le vent tournera et j'aurai le vent arrière au petit matin. Inch Allah si la météo dit vrai. En tout cas cela me ravit.

Une bande de dauphins viennent me saluer…  trop beau, je n'en n'ai pas vu beaucoup cette année en Méditerranée.
Le vent est bon, je règle le pilote et peux aller dormir quelques bribes…. Vers 2h du matin le vent change. Le pilote ne tient plus le vent est trop faible. Des orages à droite à gauche devant mais aucun ne me touche. Par contre je ne peux plus dormir, il faut barrer. Cela dure jusqu'au petit matin. Je longe l'île d'Yeu à vitesse réduite, le vent est mollasson. Je viens de prendre une météo toute fraîche le vent devrait se renforcer je continue. Belle île est à une cinquantaine de milles…

Samedi 9 juin

Finalement arrivé à belle île en fin de journée, je décide le mouillage derrière le phare, dans une anse étroite à la tombée du jour. Un peu risqué mais je fais une confiance aveugle au GPS… À l’abri de la houle je passe une bonne nuit après un bon repas réparateur. Un peu lugubre le décor : silhouettes menaçante des roches acérées autour du bateau et la lumière du phare qui tourne, tourne, tourne sans arrêt…

Le lendemain, au lever du jour, appareillage. Des pêcheurs ramassent leurs filets, cela me rappelle que j’ai une ligne de traîne… testons l'Atlantique… sans tarder une chose émerge à l’arrière: c'est une bonite… incroyable, cela fait des mois que je n'ai rien pêché. Bienvenue à bord. Cela suffit pour aujourd'hui.

Direction Lorient. Je contacte Manu, un ami qui prépare un tour du monde à la voile, solitaire, sans escale et sans assistance. Par chance il est là. cela fait des années que l’on ne s'est pas vu. Rendez-vous le soir… Je visite son bateau et on parle encore et encore jusqu'à tard le soir… C'est ça les voileux….

11 juin, jour de mon anniversaire…

Je le passe en mer, c'est la moindre des choses… belle navigation, coup de pétole à midi, juste pour un repas tranquille, puis le vent reprend pour me porter à Concarneau. Arrivée un peu musclée, courant à contre et vent portant… C'est le port des Glénans, la fameuse école de voile et ça sent dans l’ambiance… Des gueules de sportifs, de passionnés…

12 juin

Courses en ville, visite éclair de la vieille ville car je dois partir en fin d’aprem pour avancer vers le Cap Finistère. Après, plus de vent…

20h Le vent faibli et le courant s’inverse. Il vaut mieux s’arrêter avant la nuit. Sur la carte un coin semble propice au mouillage, je bifurque et me trouve empêtré dans des cordages qui se prennent dans l'hélice, le safran et le régulateur. Énorme stress, le puissant courant complique tout. Avec l'énergie du désespoir, la rage de réussir et un combat de trois quart d'heure je me libére enfin. Épuisé mais heureux d’avoir réussi, mouillage, apéro et dodo.

13 juin 4h du matin, départ pour profiter de la renverse de courant. Il faut partir au large contourner les bouées, Il y a beaucoup de cailloux dans le coin. Il y a beaucoup de chalutiers dans le coin, le Guilvinec, une zone réputée et c'est l’heure où ils sortent a plein pot pour la curée. Dans la nuit leurs lumières se mélangent et je coupe leur trajectoire. L’un d’eux est sur le point de l'éperoner. Quand je braque ma torche il dévie enfin sa route. Au lever du jour, St Guénolé est contourné. Le vent faibli, le courant aussi, la météo était optimiste, il faut mettre le moteur. Mer formée, plus de vent, aucun abri il faut continuer… Navigation chiante, désolé. De longues heures plus tard, arrivée au raz de Sein à la bonne heure pour le courant montant. Accélération foudroyante en contournant le phare de la vieille, 8 nœuds sans vent puis les impressionnants remous qui suivent… spectaculaire. Un peu de brise plus le courant pour arriver à Crozon-morgate où mes amis Fred et Julien m'attendent. On passera quelques jours ensemble à visiter le coin avant le grand départ.

Samedi 16 juin

TRAVERSÉE DE LA MANCHE

Départ 1h30 du matin pour profiter du puissant courant qui monte au nord entre Ouessant et la terre. Mais pour rejoindre le phare qui marque le goulet de Brest, 1h30 de combat contre vent et courant. Une fois viré, accélération subite, on passe à 8 noeuds. Des lumières partout clignotent, vert, rouge, blanc.. Slalom entre les bouées, le bateau saute sur les remous. Dans le noir de la nuit !... Pas rassurant mais on a pas le choix… Soudain un énorme bateau droit devant. Il doit ralentir quand je passe devant son étrave. C'est un paquebot, les touristes dorment paisiblement… enfin les premières lueurs du jour!... Ouessant à bâbord, peu de vent, mais de puissants courants tourbillonnant me laissent sans direction précise… laisser faire… Une heure plus tard, le vent s'étoffe. Je hisse le spinaker. Encore une heure et il faut le rentrer… puis ensuite, réduire la toile. Deux ris, houle croisée, bruine froide et humide. Secoué en tous sens dans mon frêle esquif, je tente de me faire un petit café… Allure des plus inconfortable jusqu'à midi. Casserole de riz faite à la sauvette, au moment de l'allonger, un énorme cargo avance vers moi. En fait, il est à l’arrêt. Je le longe à 50m, il aurait fallu de peu…

Le vent est calmé, la houle rangée, c'est plus confortable. Je peux l'allonger un peu, je viens de croiser le rail des cargos. Mais vigilance…

C'est le rail montant que j'ai croisé, celui qui monte les marchandises du monde entier vers les pays du nord…. Gazier, pétroliers, porte container de toute sorte… une heure plus tard, c'est le rail descendant qui défile. par dizaines… C'est impressionnant parfois de voir cette énorme proue bavante d'écume s’avancer vers moi et d’estimer s’il faut faire une manœuvre ?... Je sais qu'il sont particulièrement vigilant dans cette zone et heureusement je traverse de jour. Mais je n'ai aucune idée de l’endroit où j’atterrirai ce soir. Le vent est constant mais les courants et marées vont et viennent, difficile pour moi de calculer. Surprise… Je ne sais pas même si j’arriverai de jour comme souhaité ?... Depuis le début j'ai mis le régulateur d’allure. C'est un pilote automatique qui maintient le bateau sous le même angle par rapport au vent. Je n’y touche pas, laissant les courants aller et venir selon les marées. J’affinerai à l’arrivée. C'est ainsi que j’arrive à un petit mouillage à trois heures du matin, C'est à 5 milles derrière le phare de Lizard point fameux auprès des marins Après 25h de navigation et 115 milles parcouru. Moyenne de 5 noeuds ! Pas mal, captain popol…

Dimanche 17 juin

Réveillé par le roulis à 6 heures du matin, je regarde le paysage, l'Angleterre, monte le pavillon de courtoisie en chantonnant “God save the Queen” puis retour pour quelques heures de sommeil. Je suis un peu crevé et il fait gris et pluvieux… Un vrai temps anglais… Au réveil j’écoute la BBC… comme ils parlent bien… et je comprends tout… Ensuite, rangement et bricolage, repas et sieste puis départ. Ce mouillage est trop chahuteur. Grosse mer, aidé par le puissant courant sur lequel je comptais je parviens enfin à contourner le phare et traverse la baie de Penzance, sous averses, brumes et éclaircies, pour trouver refuge au port de Newlyn. Premier pas sur la terre anglaise… D’abord chercher des livres sterling pour satisfaire le taxman qui arpente les pontons. 18 livres soit 23 € sans douche ni électricité !… mais le lieu est sympa, mêlé aux bateaux de pêche… Puis quelques courses pour voir les prix et goûter aux produits anglais… les prix sont corrects, l’alcool plus taxé… J’ai bien fait de faire mes réserves en France.

Lundi 18 juin

Bonne balade dans cette ville sympathique… Dépaysement, on roule à gauche, signalisation différente, jolis cottages fleuris, gens souriants… I love England… Après avoir consulté la météo, je repars profiter des courants favorables et du vent portant vers le nord car dans deux jours c’est un vent contraire qui s’installe. Or je ne perds pas de vue l’objectif, l'Écosse. Il est 19h, je vais passer la nuit pour aller vers le pays de galles. J'écoute en podcast l’histoire du général de Gaulle en Angleterre et de ses déboires avec Churchill… passionnant.

Mardi 19 juin

6h du matin. Les anglais avancent d’une heure sur le reste de l'Europe !... Ils roulent à gauche ec…. Bref, ils sortent de l’Europe. J'ai bien fait de naviguer toute la nuit J'approche du pays de galles. Une centaine de milles depuis hier midi. Beaucoup plus calme que la Manche et pas un cargo. Pour l'instant un courant contraire pendant quelques heures puis renverse et vers midi il me propulsera avec deux noeuds supplémentaires… Le vent reste stable durant la journée, pas d’escales prévue… Je profite de l’aubaine. J'ai mis la ligne de traîne à l’eau, mais depuis des jours, pas un poisson… des algues s’accrochent… Les oiseaux de mer sont différents ici. On approche les contrées lointaines du nord...

8h, brouillard épais, visibilité 200m. J’entends une corne de brume à intervalles réguliers… c'est bien ma chance, le seul cargo depuis le début… je ne suis pas manœuvrant du tout. J'ai posé le moteur dans le cockpit, je n'ai que la voile…!... Plus qu'à attendre et espérer. je sonne de ma petite trompette… et regarde, le son se rapproche… Et se rapproche encore… cette fois, deux coups de corne et moi deux coups en réponse… le palpitant !... Je passe la veste de quart, les gants, le bonnet, gilet de sauvetage à portée… finalement je l’entends sans le voir, passer sur mon tribord. Ouf, c'est la première fois que ça m’arrive… J’approche la côte. J'ai passé les cent milles depuis hier, à une moyenne de 5,4 noeuds !... Plus que honorable...

Vendredi 22 juin

Pas vraiment eu le temps d'écrire, beaucoup de péripéties… coup de vent dans la brume avec récif à tribord quand la carte GPS flageole et donne ses infos par intermittence, arrivée dans un mouillage suspect balisé par des bouées de danger !... Mais il faut y rester, dehors c’est la tempête… une journée dans la brume, l’autre aussi… où sont les côtes ?... Interception par la Navy, je suis dans une zone de tirs, je dois dégager… Oui mais avec un petit navire à voile je ne vais pas où je veux, et pas très vite…. Militaires sympas quand même… je trouve un petit mouillage qui se révèle très chahuteur, de plus la météo annonce un vent qui va se lever à minuit, il faut déguerpir en vitesse. 3 milles plus loin un petit port mais je dois attendre la marée monte pour y entrer… J’y vais mais il est encore trop tôt et je talonne mais je suis au moins protégé du vent et de la houle…. Bref, à 2h du matin je trouve un abri précaire contre un autre bateau en attendant… Dormir, dormir… je suis vanné… au réveil, le bateau est à sec, je peux aller à terre. Faire des courses, regarder le coin, premiers pas au pays de galles. Plutôt joli, les façades des maisons sont peintes de couleurs vives, tout est propre. Malgré le froid, beaucoup portent des tenues d'été. Il y a du soleil… pour moi c'est l’hiver… retour à bord, bricolage, réparation de l'hélice qui en a encore pris un coup cette nuit, repos un peu. Un bouquet de jolies filles apparaît sur le quai, robes longues, décoltés, avec un entourage d'élégants jeunes hommes. Ce doit être un mariage. Ce matin je pars,in extremis avant la marée basse. Il fait beau et froid, j'ai vent et courant à contre, ça fait rien. Temps d'hiver en méditerranée…

Dimanche 24 juin

Quitte Aberdeyfi ce matin à 7h avec la marée sortante. Porté par le courant et la brise du matin, je passe parfois les 6 noeuds… Il fait beau, comme hier où je me suis offert une journée de repos, bien méritée. J'ai même pris la première douche depuis Crozon. Jamais trouvé l’occasion depuis !... Quel bonheur quand c'est si rare… bon accueil des gallois, j’apprends que leur langue est la plus ancienne d'Europe après le basque !... Aucune racine commune avec l’anglais, très peu avec le celte… une langue aborigène très très ancienne !...

Soleil, température douce mais pas de vent. On ne peut pas tout avoir. Moteur donc pour soutenir la brise et atteindre les courants qui me feront franchir le cap pour sortir de Galles et continuer vers le nord. L’agrandissement des pales de l'hélice que j'ai faite en résine porte ses fruits: le moteur tourne moins vite pour une vitesse égale. Mais c'est moins solide. J’essaierai de m'en procurer une à Dublin lorsque J'y ferai escale.

Plein de méduses en mer… Elles sont belles quand elles nagent, certaines avec de longs filaments colorés. Des oiseaux aussi, pufins, sternes, des espèces de petits pingouins qui effrayés s’envolent maladroitement à un mètre de l’eau. D’autres qui préfèrent plonger pour fuir. Quelques goélands, plus petits que ceux de l'Arctique, mais on approche.

Mardi 26 juin…

Je rêve ou quoi… là, à quelques mètres du bateau, un. Phoque !... Il plonge, il ressort, il pêche… Les dauphins on s’y habitue, mais les phoques c'est plus rare… je suis dans un petit mouillage sauvage à la pointe de Holyhead, extrémité nord du pays de galles, en attente des bonnes conditions météo pour remonter vers l’Écosse. Hier, pas de vent, tout moteur avec un courant puissant, mais quand même… c'est la voile qu’on aime. Je suis allé remplir un jerrican d’essence, le premier depuis la Bretagne… (c'est dire que le voyage m’a coûté 21 litres de super jusqu'ici…). La marina de Holyhead à été totalement détruite Il y a quatre mois par une énorme tempête qui s’est engouffré juste entre les deux quais… Plus de soixante dix bateaux coulés !.... Les bateaux rescapés sont au mouillage et un marin fait la navette en chaloupe. Aimablement il me conduit à terre avec mon vélo et le jerrican et me conduit en 4x4 à la station et au super marché, je rentrerai à vélo.

Demain j’aurai bon vent, aujourd'hui relâche et promenade dans la nature sauvage que je contemple tout autour. L'annexe à gonfler et c’est parti. Merveilleuse nature, muscles rendus paresseux par la vie en cabine… il y a un petit lac d’eau douce où je peux me laver et me savonner au milieu des canards étonnés… très bucolique ! Puis une longue marche dans une campagne très variée et fleurie. De retour au bateau, un couple de phoques s'ébattent non loin de là en poussant des cris rauques.

Mercredi 27 juin

Départ à 5h. Le soleil est déjà au dessus de l’horizon. Le courant me pousse à 7 noeuds en franchissant le cap, mais cela ne dure pas. Il faudra attendre encore quelques heures avant qu'il ne pousse réellement.

Arrivé à l'île de Man vers 16h, la traversée ne fut pas aussi facile qu'estimé. Vent plus mou, beaucoup de moteur pour soutenir la voile. Mais il fait chaud, au point que je reste en cabine jusqu'à 18h !... Je mange en regardant les Rolling stones en concert à Birmingham Il y a trois semaines… you tube…. Quelle bande de lascars ceux là, à leur âge !... Le stade était plein à craquer. Puis visite de Casteltown, ancienne capitale de l'île. Charmante petite bourgade historique, tranquille. J' y fait quelques courses avant de regagner le bord.

Jeudi 28 juin

18h, DEUX D’UN COUP… Je n’y croyais plus mais en quittant le port de Douglas, un pêcheur m’ayant dit qu'il y avait du poisson, je mets la ligne à l’eau et un quart d'heure plus tard elle semble bien tendue. Je la ramène, croyant avoir accroché des algues comme d’habitude, mais la sensation est différente. Au bout, deux magnifiques poissons, une bonite et l'autre je sais pas, au moins cinquante centimètres chaque. Première fois que ça m’arrive. Un seul aurait suffit… moi qui pensais ouvrir une boîte de sardines ce soir…..

Sinon, j'ai visité Douglas, la capitale. Belle ville style victorien avec une magnifique promenade le long de la mer. Opéra, casino, hôtels de luxe et beaucoup d’hommes costumés, cravatés !... L'île à un statut économique particulier et il y a beaucoup de banques… mais ce n'est pas mon affaire !... Galeries marchandes au niveau, belles voitures, cela faisait longtemps que je n’avais pas vu ce monde là… Tout est hyper propre, pas un papier ne traîne à terre, des amendes dissuasives sont là pour y veiller. C'est drôle de se balader ici….

Samedi 30 juin L’ÉCOSSE !...

1h du matin. C'est curieux quand même d'être là, ballotté par les flots sur mon fragile esquif en pleine mer d'Irlande, seul, la lune pleine par derrière, le jour qui point déjà à l’horizon vers le nord !... En réalité il ne fait jamais nuit noire par ici à cette époque de l'année.

Je viens de partir pour profiter du courant et du vent favorable et monter un peu plus vers le nord, vers l’Écosse qui n’est plus très lointaine maintenant. Cela fait quelques jours que je guette cette fourchette météo favorable… Ça y est, c'est maintenant ou jamais… Moi je prends. Sensation rare, privilégiée, peu de voiliers qui croisent dans ces régions… Il fait très beau, même chaud depuis quelques jours. Hier en faisant les courses, je cherchais le trottoir à l’ombre pour marcher, chargé de mon jerrican plein d’essence !... Je n'ai pas encore rencontré un port avec station service. Pas de véritable Marina avec les services attachés. Par contre les tarifs sont déjà à la hauteur. Donc beaucoup de mouillages. J’amorti l’achat de ma nouvelle annexe qui me donne entière satisfaction.

Un peu avant cinq heures, le soleil se lève au dessus de l’horizon. C'est l'Écosse… L'arrivée sur le Cap est rapide. Poussé par le courant le bateau passe parfois les 8 noeuds. J’allais justement dormir un peu, je m’en abstiens… Le passage du Cap se fait sur une mer totalement chaotique et insensée !... J’admire mon sang-froid mais suis néanmoins secoué et bien !… une demi-heure plus tard ça s'améliore. Je ne sais pas encore où je vais atterrir, attendant que le courant s’inverse. Finalement c'est port Patrick… premier pas sur la terre écossaise. Charmant port dont je fais le tour en une heure mais le tarif ne m’incline pas à rester: 26 livres sterling la nuit, plus de 30 €….. Je consulte la météo et la carte, peut être l'Irlande juste en face ?... En attendant, la navigation de cette nuit à battu tous les records: 40 milles à une moyenne de 6 noeuds !... Comme quoi, briser la routine et partir quand c'est le moment… de plus c'est un vrai plaisir, au moins pour moi…. Un peu de fatigue mais quelle expérience…. Parti pour l'Irlande, le vent me lâche après 5 mn... Je me rabats sur une petite crique toute proche. Repos donc a décidé la mer.

Dimanche 1 juillet

Après une sieste des plus bénéfique, avec même un zeste de paresse indulgente et bienfaitrice, je me rends sur la plage qui se trouve au pied d’un terrain de golf. Un peu de marche le long du sentier littoral pour capter du signal et envoyer mon journal par mail à la famille et amis. Ce n'est que le soir que je verrai l'échec des envois. Signal trop faible… Je croise une bande d’adolescents chargés de victuailles plutôt liquides à en juger par le son qu'émettent leur sacs… Ils vont faire la fête sur la plage !... Je pense à mon annexe laissée là… À mon retour évidemment ils l’ont prise, jouent,plongent, rient et s'éclaboussent dessus. Petite engueulade de principe… Ce matin évidemment, ils ont abandonné bouteilles, cartons et compagnie sur la plage….. Sales gosses… Papa Paulo va tout ramasser et ramener à bord sinon qui le fera et cela terminera à la mer…

Je croise une joggeuse anglaise, nous papotages… Elle repart tout à l'heure avec son mari en yacht sur Bandor. En face en Irlande. Il y a toutes les facilités, une Marina et la bonne météo. Je suis en route sur le bateau d'où j'écris ces lignes en ce moment. Bonne brise, soleil… Il y a en ce moment un épisode rare de beau temps qui n'était pas arrivé depuis des années et cela devrait durer deux semaines encore !...

Mardi 3 juillet

Parti à 2h30 ce matin pour jouer entre brise et courants afin de sortir de l’estuaire de Belfast. Toujours cet horizon rougeoyant d’un soleil impatient de se montrer et d’une lune éclairant encore de son blanc reflet… La brise était vraiment trop faible et il fallut l’aider d’un peu de moteur. Courant plus faible qu’espéré, régime moteur plus fort, casque antibruit sur les oreilles, fraîcheur matinale, pas vraiment la navigation idéale. Trois heures plus tard je plante la pioche (je mets l’ancre…) pour un chocolat chaud, des tartines beurrées et un gros dodo.

10h, je repars faire un peu de nord dans la pétole et contre courant faible. Le Connemara, la chaussée des géants ne sont plus très loin…

12h. Inutile de se battre contre le courant, je trouve un petit mouillage pour le déjeuner et la sieste puis repart avec le courant. Moteur hélas, désolé pour la planète émission de co2… et le soir me voilà dans l'île aux phoques… En cherchant un mouillage, je me trouve au milieu d’une colonie de ces étranges animaux, les uns nageant, les autres vautrés au soleil, les jeunes sortant leur tête curieuse hors de l’eau…. Mais je ne compte pas passer la nuit au milieu de cette sympathique colonie.

Mercredi 4 juillet

Secoué par le vent du petit matin, je vérifie la météo et conclue de partir rapidement.. Bien m’en prends, sans tarder un bon vent me pousse vers un puissant courant qui me dépose au pied des marches de géant, la chose à ne pas manquer… Elles sont vraiment extraordinaire ces falaises… on dirait des orgues de pierre. Comment la nature peut faire de telles merveilles ?.... Oui

Mon devoir de touriste étant accompli, je cherche un mouillage pour manger, mais rien d'intéressant… Coup d'œil à la météo, c’est le moment idéal pour faire nord vers l’Écosse… Je mangerai en route.

On ressent maintenant la grande houle de l'Atlantique. Une fois quitté la mer d’Irlande qui l’en protégeait, elle revient, là, porteuse de rêve et d’aventures…. Envie de grands voyages, soif d’horizons inconnus… Le soleil est là avec son ciel bleu, un peu frais d’ailleurs pour ne pas s’endormir…

Tribord armures, j’ai rajouté une cale sous la banquette pour compenser la gîte. C'est plus confortable. Ça bouge encore, mais si on veut pas que ça bouge, on reste à la maison… À regarder des films à la télé…

Vent d’est bien nourri, courant puissant, 2 ris dans la GV, ça carbure… Je me rends compte que je ne peux pas vraiment choisir ma direction !.... Je vais donc où le vent me porte… Et j’atterri à port Ellen sur l'île de Islay. Quelques pontons, un petit village et une distillerie de whisky !.... Les gens sont assis dehors à leur porte, profitant du chaud soleil. Cela fait maintenant deux semaines que ça dure et on annonce deux de plus… Alors on profite. Pour manger ce soir, je m’achète une spécialité écossaise, “la panse de brebis farcie”. Pour ceux qui connaissent la blague de Jacques Baudouin dans les années 60, cela éveillera des souvenirs. En fait, c'est délicieux.

Les pontons sont gérés par une association charitable et les prix fixés pour les moins de 10m à 18 livres soit 23€… quand même…. On profite d’une douche…

Jeudi 5 juillet

De la brume ce matin à 5h. Je me recouche… À 8h, soleil. Petite promenade de mise en jambe. Au hasard je prends vers le nord mais un petit vent frais me fait bifurquer à l’ouest qui sera mieux protégé. Et je me retrouve dans cette végétation si particulière dense et verte, avec des bruyères et des fougères si touffues que si un chemin n’avait été aménagé elle serait totalement impénétrable. De retour au bateau je démonte l'hélice qui commence à produire des vibrations suspectes. J'arrange comme je peux mais c'est un point à surveiller… Puis je m’attaque à la prise électrique qui ne fonctionne plus très bien. Le voisin de bateau me propose alors son aide, c'est son métier… Aubaine, diagnostic puis il revient avec son matériel et de fil en aiguille nous passons trois heures à rectifier le système jusqu'à entière satisfaction. Un petit cognac pour fêter la victoire contre les éléments récalcitrants puis je me mets au mouillage un peu plus loin pour éviter de payer une nuit supplémentaire.

Vendredi 6 juillet

7h30, le soleil a suffisamment réchauffé l’air ambiant, je peux partir. Slalom raisonné entre les rochers qui me laisse entrevoir des algues géantes de toute beauté aux volutes et formes alambiquées, d’autres filandreuses, une vraie chevelure de gorgone. De quoi attiser l’imagination des marins d’antan qui voyaient dans ces eaux la demeure d'êtres fabuleux et terribles. Des distilleries à l'architecture élégante jalonnent le parcours, émergeant du vert sensuel de la végétation environnante.. Des têtes de phoques intrigués émergent des flots de temps à autre, me rappelant que je peux mettre la ligne de traîne à l’eau. Qui ne tente rien n'a rien. Ces derniers temps, rien. Mais il parait que le maquereau arrive, m’ont assuré les pêcheurs du coin. Sinon il me reste un bon morceau de panse de brebis farcie pour ce midi.

10h. Il semble que l’intervention au niveau de l'hélice porte ses fruits, moins de vibrations parasites. Il le faut car aujourd'hui, peu de vent. Je vais passer entre les îles d’Islay et de Jura, dans un étroit passage naturel, sound of Jura. Je vois déjà les sommets à 750m se profiler à l’horizon. Le moteur également charge bien la batterie, tout est OK.

12h. Mouillage à l’entrée du sound. Je viens de voir passer un tracteur du pays: 8 roues motrices. Cela en dit long sur la nature du sol tout au long de l'année !... La panse de brebis farcie est excellente. Avec un petit verre de côtes du Rhône et de la moutarde de Bourgogne IGP au vin blanc aligoté…. I love Scotland… quand je pense que en ce moment sur la côte d’Azur les bateaux se bagarrent les mouillages pour se faire secouer par les méga yachts matuvu et crever de chaud sous les biminis…. Yes yes….

Masses blanches ou gris clair vautrées sur les algues au soleil, les phoques…. Cygnes gracieux au col immaculé évoluant autour du bateau, c'est le paysage ici.

Arrivé au ponton des ferries, il y a une pompe à essence à côté self service. Un panneau affiche “la pompe fonctionne mal à cause de la chaleur, passer voir à la boutique”. En fait il faut insister, trois fois pour moi, et je peux faire un plein….

19h. RUBH’A’CHROIS-AOINIODH juste à côté de RUBH’AIRD NA SGITHEICH dans le Loch Tabert. Vous connaissez ? 55 degrés 57 latitude nord, 5”60 ouest, Island of Jura… C'est là que je vais dormir ce soir. Paysage hors du temps, hors du réel… À voir les sommets, on se croirait à 2500m d’altitude en montagne. Personne. Des oiseaux, des phoques, ciel bleu, soleil…. Des roches aux formes à couper le souffle...

Vraiment je ne regrette pas mon voyage en Ecosse… Et il fait chaud, à poils sur le pont…..

Samedi 7 juillet

Se réveiller le matin et voir un couple de phoques avec leur bébé s'étirer au soleil levant à vingt mètres alors qu'un couple de cygnes passe dans toute leur majesté indifférente, j’appelle cela un privilège….

Puis je prends la direction d’une petite île en face, Colonsay, distante d’une dizaine de milles. Toutes voiles dehors, la brise peine à faire avancer le bateau. C'est bon d'écouter le silence de la mer. On se rend compte que le bruit du moteur à tendance à énerver l’esprit, à l’agiter. Alors que le silence laisse apparaître le gloussement d’une mouette, le souffle d’un marsouin, le glapissement d’un phoque. Mais au bout de trois heures, la brise s'étant définitivement éteinte, que fait on ?... Un peu de moteur pour rejoindre une petite plage ensoleillée où j’irai marcher et voir les moutons juste derrière la dune. Puis je repars profiter de quelque vent erratique pour joindre l'île de Mull.

Dimanche 8

Cette fois, belle brume. Paysage écossais. Mais il ne fait pas froid. Pas le vent annoncé. Je fais le point sur ma position, Plus de 500 milles depuis Brest. Le nord de l'Écosse est encore loin et il faut revenir…. Et avec cette pétole annoncée.

La réponse C'est le vent qui la donne… Là où souffle le vent, je vais… Le spi hissé, je vais à l’extrême nord de l’île de Jura. Quatre bonnes heures jusqu'à ce que le spi pense lamentablement faute de vent. Un peu de moteur pour contourner puis le courant m’emporte et me propulse vers l'entrée du canal de Crinan. Soit, il ne faut pas démâter, j’y vais. Je m’y attendais un peu, l’addition est salée: 100€ pour 4 jours et une quinzaine de kilomètres. J'ai peu dépensé ces derniers temps, on peut se le permettre… Je prends donc ainsi la route du retour…



Mardi 10 juillet

Finalement je suis content d’avoir pris ce canal. Navigation sans stress, nuits calmes et silencieuses, marche en forêt, sentir l’odeur des arbres et des fleurs, de la terre, cela me fait un bien fou, me ressource. Hier j'ai sympathisé avec un couple d’ecossais qui navigue sur un tout petit voilier de 4,80m, sans cabine. Le soir ils ont un système astucieux de tente qui se monte sur le bateau. Ils font un voyage de 5 semaines avant de rentrer à Londres où ils habitent. No problem…. On s'est quitté tout à l'heure, ils sont pressés de naviguer et moi je préfère le repos du canal.

Jeudi 12 juillet

Le canal c'est bien mais ça manque d’horizon… j'en suis sorti à midi. Après une douche et le repas, en mer. Pas de vent mais qu’importe, on supporte un peu de moteur pour sortir du Loch Fyne. Puis un peu de brise alliée au courant pour longer l'île d’Aran et on verra ce soir où jetter l’ancre. De toute manière je suis mieux en mer. Un peu de soleil permet de s'aérer la peau après ces quelques jours où elle est restée confinée dans des vêtements de rigueur. Le bonheur est dans l’air.

Beaucoup de moteur quand même lorsque en fin d'après midi le vent se lève. Un vent parfait qui me fait bomber à 6 noeuds pendant deux à trois heures… Ça fait du bien, avec en plus du soleil. Et il s’arrête juste au moment où j'attends le bon mouillage repéré sur la carte.

Vendredi 13

6h, je sors le nez, ciel gris, pas de vent, quelques phoques sur les rochers à 30m. Après consultation météo, départ rapide pour profiter d’un peu de vent. Puis je décide de mettre le spinaker. Vent mou contre courant faible, ça n’avance pas vite !... Puis j’essaie de laisser le spi seul en affalant la grande voile. Même vitesse mais le pilote travaille moins. Vitesse entre 2 et 3 noeuds. Un grand paquebot vient droit sur moi, je ne change rien. Finalement il dévie légèrement sa route pour passer derrière. Réfléchissons, leur route est suivie par satellite et enregistrée sur boîte noire. En cas de collision il serait retrouvé facilement dans ces zones très fréquentées donc ils font attention. Je ne me fais plus trop de soucis comme avant.

19h J'ai avancé beaucoup plus que ce que je pensais avec ce faible vent. Un peu de moteur mais pas trop. Je vais me retrouver ce soir à port Patrick où j’avais atterri il y a quelques semaines en Ecosse. La boucle se ferme.

Il m’arrive encore de s'émerveiller de flotter sur l’eau avec mon petit bateau et toutes mes affaires et de vagabonder ainsi de par le monde… Les oiseaux autour, la tête d’un phoque qui surgit hors de l’eau. N’est ce pas merveilleux ?...

Samedi 14 juillet

15h. Gros brouillard vient de se lever. C'est embêtant car j'ai vu il y a peu un cargo dans les parages… Visibilité vingt mètres, le temps de rien faire si jamais… Ce serait vraiment faute à pas de chance !... Parti ce matin à 7h. Remonte au vent avec le courant, un bon six noeuds pendant 5h pour arriver en vue de la côte irlandaise. Le courant s’inverse, virement de bord pendant trois heures puis revirement qui peut me permettre de passer un Cap. C'est là où je me trouve. Remonter au vent pour ceux qui ne savent pas, c'est une allure pas très confortable pour un petit bateau car il tape dans la vague et à chaque fois ça résonne dans toute la coque, ça secoue beaucoup et ça fatigue le bateau et son capitaine qui souffre avec lui. Mais quand il faut, il faut…. Je me suis trouvé différentes petites places dans le bateau pour l'équilibrer au mieux selon l'état de la mer et moi-même être confortable pour lire, écrire, manger, méditer...

Je viens de voir que c’est le jour national !... Bon… Si je pense à la révolution, à toutes ces têtes coupées pourquoi ?... Et demain soir la coupe du monde… J’essayerai de la voir mais où, surprise...

Dimanche 15 juillet

Heureusement que JP, mon filleul m’a téléphoné… Il m’a donné l’heure du début du match sinon j’attendais tranquillement le soir pour m’informer. Je suis donc dans un pub de Newcastle, seul français au milieu des familles du coin. Tous ne s’intéressent pas au match, loin s’en faut… À peine une petite remarque lorsque un but est marqué. Cris joyeux lorsque la Croatie marque !... C'est la mi-temps. Finalement la France gagne, la fibre patriotique vibre dans le cœur, des voix fredonnent la Marseillaise dans le pud, douche écossaise à Moscou, quelques pintes de bière et rentrée à bord en pataugeant dans la vase car le bateau est couché au fond du port, C'est marée basse !...

Lundi 16

Gros coup de vent cette nuit à 3h à marée haute. Le bateau frappe contre le quai. Réveillé, en petite tenue, je sors sous la pluie resserrer les amarres. C'est la vie de marin !... 5h. Il faut quitter le port avant la marée basse. Le vent est calmé. deux heures de moteur avant de passer à la voile. Ça marche bien, j'ai des chances d'être à Dublin ce soir.

9h. Au bout de la ligne de pêche, des algues encore des algues, toujours des algues… il y en a marre, septième fois ce matin, tous les jours pareil depuis la double prise de l'île de Man il y a quinze jours… C'est pas moi qui dépeuple les océans … Ça sent la panse de brebis farcie pour midi.